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Travail thérapeutique et ”circuit de récompense”

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Les neurosciences ont toujours suscité un grand intérêt pour moi et c’est avec plaisir que je lis tel ou tel article sur différents domaines, enrichissant ma compréhension de tel phénomène ou participant à une ouverture d’esprit toujours plus grande.

Ce qui est encore plus intéressant c’est d’essayer de faire des croisements entre le monde des neurosciences et ma pratique thérapeutique. Il se trouve alors que l’utilisation des jeux vidéo en tant que médiateur thérapeutique a précisément facilité ces croisements dont voici un exemple : 

J’utilisais Minecraft avec un jeune patient pour l’aider dans sa confiance en lui, en l’accompagnant dans sa capacité à aller au bout de son idée de construction alors qu’il était constamment distrait par de multiples éléments du jeu. Il s’agissait donc dès lors de faire en sorte que les séances avec Minecraft contiennent sa distractibilité en utilisant spécifiquement des éléments du jeu (rester en mode Survie pour éviter de se perdre dans l’inventaire du mode Créatif par exemple) et des interventions (toujours bienveillante dans le cadre thérapeutique) de ma part pour aider ce cadrage (« ce n’est pas ton objectif », « tu t’éloignes de ta tâche », « reste concentré sur ton idée première », etc etc). Sans m’en rendre compte, j’avais mis en place toute une procédure pour l’aider à progresser sur sa capacité à inhiber des éléments périphériques à sa tâche susceptibles de le parasiter s’il en tenait compte. Grâce à une meilleure capacité d’inhibition, son attention portée aux tâches à accomplir, ses capacités d’apprentissage ainsi que ses réussites seront améliorées. En ligne de mire le travail thérapeutique sur la confiance en soi. Avec de meilleures capacités à faire face aux situations rencontrées (problèmes à résoudre, apprentissages divers) la confiance se construit alors au gré des expériences vécues. L’environnement thérapeutique avec le soutien face aux difficultés, l’envoi de signes de reconnaissance positifs et la présence cadrante ont permis que ce patient découvre ces capacités en lui et puisse les utiliser.

Donc lire des articles de neurosciences en utilisant les jeux vidéo est plus que pertinent dans ma pratique thérapeutique afin de pouvoir le mieux possible aider les patients qui viennent me voir.

Mais il se trouve que les jeux vidéo génèrent depuis toujours de nombreux débats passionnés. Pendant de longues années c’est la question de la violence que les jeux video susciteraient qui a alimenté les débats ; mais depuis peu un autre débat a fait son apparition : celui de la supposée addiction que pourrait provoquer la pratique du jeu vidéo. 

Pour donner ma position à ce sujet, je garde l’idée que le jeu vidéo ne crée pas d’addiction, préférant parler de pratique excessive et/ou problématique. Cela me permet de toujours voir cette pratique comme étant un symptôme à comprendre et à analyser dans le fonctionnement de mes patients, donc de rester centré sur eux plutôt que sur l’objet ”jeu vidéo-addiction” et passer à côté d’un matériel psychique précieux.  Je ne développerai pas davantage ma position ici car ce n’est pas l’objet de cet article.

Avec ce nouveau débat est apparu la notion du fameux circuit de récompense de la dopamine, présent partout dès qu’il est question d’expliquer de quelle manière les jeux vidéo et les écrans d’une manière générale nous rendent « addicts ». Ainsi, ce qu’on peut lire et entendre régulièrement c’est l’idée que les tâches que nous accomplissons produisent des récompenses qui stimulent notre cerveau en libérant de la dopamine, et l’individu se retrouve alors piégé à accomplir de manière répétée et inconsciente ces tâches pour recevoir encore et encore ces récompenses et la réponse neurologique qui l’accompagne…

 Comme par exemple ici : ”Ces dispositifs activent le système de récompense sur un mode très rapide. Le cerveau reçoit en permanence des stimulis et des récompenses qui activent les réseaux de neurones dopaminergiques à haute dose, pouvant créer le début d’une addiction

Cerveau&Psycho n°122, p.44

 

Il n’est pas question pour moi de débattre et/ou d’expliquer ce fonctionnement neurologique car je n’ai aucune compétence pour prétendre pouvoir le faire. Mes lectures et mon intérêt pour le domaine ne remplacent pas l’absence de formation et d’expérience professionnelle ; je m’en remets aux avis et explications de mes collègues neuropsychologues, et qui conseillent notamment la lecture de Mark Humphries ”The Crimes against dopamine” (https://medium.com/the-spike/the-crimes-against-dopamine-b82b082d5f3d) mais ça m’a donné envie de montrer la vision d’un thérapeute sur cette question, quel travail thérapeutique il peut mener avec un patient. 

Ainsi, à force de lire des articles évoquant l’équation ”addiction- jeu vidéo- circuit de récompense”, cela a fini par interroger ma vision de psychologue clinicien et de thérapeute. Avec cet article, c’est l’occasion de mieux formaliser et expliquer mon positionnement professionnel sur ces questions.

Que peut bien faire un thérapeute avec tout ça ? Il va se poser des questions que ne se posent pas celui qui croit que le jeu vidéo crée l’addiction par des dispositifs issus des neurosciences et ne fera pas en sorte de supprimer plus ou moins vite le mauvais objet.

Ne partant pas dans cette voie, cela ouvre d’autres champs d’investigations, en considérant déjà que le recours au jeu vidéo est une manière pour le patient d’utiliser un dispositif pour lutter contre ce qui le fait souffrir : c’est comme une béquille psychique, son antidépresseur. 

Ne serait-ce pas dangereux pour le patient que de lui retirer brutalement ce qui l’aide à maintenir tant bien que mal un semblant d’équilibre ? Le travail thérapeutique est là : comprendre cet équilibre, de quoi il est composé,  contre quoi il lutte et pourquoi il génère autant d’éléments négatifs pour l’individu. 

Donc parmi les questionnements qui vont émerger avec le patient il y a par exemple :

  • à quoi joue-t’il, 
  • combien de temps et à quel moment de la journée, 
  • de quelle manière,
  • dans quel(s) but(s) (in)conscients, 
  • ses ressentis et émotions

… et tout ça en lien constant avec son histoire de vie, ses vécus. Une activité qui occupe à ce point un patient est quelque chose de très précieux car de fait il y a énormément choses à dire, de matériel thérapeutique à recueillir ! Pour moi cela n’a donc pas de sens de mettre tout ceci de côté.

Dans ma pratique clinique si le patient choisit un jeu qui va constituer sa béquille psychique, ce n’est pas parce qu’il en est addict neurologiquement parlant, c’est parce que l’acte de jouer ”à ce jeu et de cette manière ”produit du sens par rapport à ce qu’il est en tant qu’individu à l’instant T. Il y a donc une idée de ”choix” même s’il est inconscient (”choix” que l’on retrouve dans l’article de ”Pickard,Hanna & Ahmed, Serge & Foddy, Bennett. (2015).Alternative Models of Addiction. Frontiers in psychiatrie. 6. 20.10.3389/fpsyt.2015.00020”.)

Mais comment prendre du plaisir dans un comportement qui peut générer tant de désagréments si on ne parle plus de dopamine et de circuit de récompense ? Le fait que ces actions valident une ou des croyances psychiques peut suffire : l’individu produit des actes qui le confortent dans une croyance de vie, ce qui renforce le comportement qui amène à ce résultat. Le travail thérapeutique va consister à mettre en lumière ces fausses croyances et permettre au patient d’accéder à celles qui correspondent à son véritable fonctionnement. Il faut du temps (beaucoup parfois) et une très bonne alliance thérapeutique pour arriver au bout de ce travail. Au fur et à mesure que les fausses croyances apparaissent et que le fonctionnement du patient apparaît, il va pouvoir agir de plus en plus sur le comportement de jeu problématique, un peu comme des vases communicants dont les ressources passent d’un système à l’autre.

Avec cet article j’ai voulu mettre davantage en lumière le travail thérapeutique dans lequel nos patients sont engagés durant plusieurs années pour certains, une manière aussi de faire entendre autre chose sur cette question, de montrer plus concrètement comment certains psychologues travaillent avec ce média sur ces problématiques. 

Ces patients souffrent beaucoup de ces croyances qui entourent les jeux vidéo, de ceux qui diabolisent cette activité et discréditent leurs utilisateurs, parfois par méconnaissance et/ou incompréhension. Donc ne boudons pas le plaisir de mettre un peu de bienveillance sur ce sujet.

Avoir développé une écoute et savoir utiliser le jeu vidéo dans ma pratique clinique sont des atouts précieux pour aider les patients qui présentent un usage problématique du jeu vidéo. 

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À propos Bruno BERTHIER

Psychologue Clinicien en libéral Diplômé en 2001 de l'Ecole de Psychologue Praticiens

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