Minecraft : le mode Communautaire

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Mon activité libérale n’étant composée que de thérapies individuelles, il ne m’est pas possible de travailler avec la dynamique d’un groupe thérapeutique.

La question ne se posait pas franchement avec l’utilisation des Sims qui n’est pas fait pour être utilisé autrement qu’en individuel mais Minecraft se prête particulièrement bien au jeu à plusieurs. En ne restant que sur un mode individuel je perdais l’accès à une des richesses du jeu et potentiellement des atouts dans le cadre d’une utilisation en thérapie : la dynamique relationnelle en direct qui permet d’avoir accès à des échanges verbaux, des postures et des attitudes particulières générant toute une gamme émotionnelle à exploiter.

J’avais donc le choix entre 4 options :

1) faire jouer le patient sur des serveurs en même temps que d’autres joueurs,

2) passer à des thérapies de groupe,

3) faire une croix sur la question du multijoueur.

4) créer une situation thérapeutique pour se rapprocher le plus possible de l’aspect multijoueur.

Comme je l’avais décrit précédemment dans l’article sur le cadre thérapeutique,  la question du cadre justement est toujours un élément central omniprésent et dès qu’il s’agit de toucher au cadre actuellement en place, le psychologue en est le garant pour protéger son patient.

Ainsi, les réflexions sur les 4 options à étudier pour introduire le multijoueur en thérapie ont toujours tourné autour du cadre thérapeutique, quelles questions cela allait-il soulever, est ce opportun de l’adapter et si oui comment ?

  1. cette idée de faire jouer le patient sur un serveur s’est vite heurtée à un problème de taille : cela supposait d’ouvrir le cadre à quelque chose qui n’était maîtrisable ; en effet, deux mondes allaient se rencontrer, l’espace thérapeutique et l’extérieur. Le cadre ayant une ouverture non maîtrisée, la sécurité de l’espace thérapeutique n’était plus garantie. La seule possibilité pourrait être de créer avec d’autres psychologues un serveur dans lequel les patients de chacun évolueraient, chaque psychologue intervenant et contribuant à la bonne tenue du cadre.
  2. idée intéressante mais cela nécessite du matériel, de la place et l’achat de plusieurs licences de jeu ou éventuellement des patients qui jouent à tour de rôle,  le jeu étant projeté sur un grand écran. Difficile à assumer en libéral, davantage opérationnel pour une institution.
  3. Cela m’a traversé l’esprit car ces réflexions  engendraient trop de questions dont la plupart n’avaient pas trouvées de réponses plusieurs semaines après que l’idée ait fait son apparition. Tant pis, à l’heure actuelle un schéma de fonctionnement ne parvient pas à émerger.
  4. C’est finalement après avoir accepté de renoncer à cette option que l’idée a pu émerger. En partant d’un schéma existant je me suis enfermé dans un fonctionnement, adapter le multijoueur à la pratique libérale, mais en y renonçant j’ai pu faire de la place à une créativité émergeant de ma pratique, à partir du cadre thérapeutique mis en place et donc constamment en contact avec lui au fur et à mesure que s’élaborait ce mode de jeu que j’ai nommé le mode Communautaire.

Le Mode Communautaire

Puisque je suis parti de ma pratique, de quoi s’agit il exactement ? Les patients se suivent les uns après les autres, parfois se croisent et s’observent lorsqu’il que j’ouvre la porte pour faire rentrer le parent et que les 2 petits curieux le patient qui finit sa séance et le suivant, se cherchent du regard avec ce questionnement : “à quoi ressemble celui qui va évoluer dans mon espace quand je serai reparti ?”, et pour l’autre  “à quoi ressemble celui qui a investi cet espace avant moi et qu’il va me falloir investir à mon tour ?”

Pour les constructions éphémères telles que le train en bois, les kaplas ou playmobils, depuis le début de mon activité j’ai décidé de donner le choix au patient de laisser sa construction ou de tout ranger à la fin de la séance avant de partir. L’idée est donner la possibilité au patient de laisser une trace de quelque chose dont il peut se sentir fier, à mon intention, à l’intention du parent venu le chercher et qui pénètre nécessairement dans l’espace thérapeutique, au patient qui viendra après lui ; en tout cas continuer à faire exister quelque chose de lui après son départ.

Je suis parti de la même idée,  cette proposition de laisser une trace à l’autre qui allait emprunter le même espace thérapeutique que lui : j’ai donc eu l’idée de créer deux parties que j’ai appelées “Communautaires”, l’une en mode Survie et l’autre en mode Créatif. Ce sont deux parties où les patients utilisent le même personnage minecraft mais pour faire des réalisations propres, comme les patients qui utilisent la même boîte de kaplas pour des réalisations propres. La différence majeure vient du fait que sur la partie Communautaire la construction reste et n’est pas éphémère le temps de la séance.

La partie « Survie Communautaire« .

J’ai mis en place des règles très spécifiques pour encadrer ces parties particulières où les patients allaient croiser la présence d’autrui dans son espace thérapeutique.

La consigne de jeu est de faire une maison en sachant qu’il va voir les constructions d’autres patients. Libre à lui de s’installer à proximité d’une maison, sans être collé à elle donc en respectant une certaine “intimité “ ou plus loin en marchant un peu pour se tenir à l’écart.

J’ai choisi de mettre la partie en difficulté basse (“paisible”) donc sans les monstres ni la faim à gérer.  En effet, pour moi ce qui était intéressant à observer était la gestion de la présence de l’autre et l’impact sur les décisions du patient. Gérer monstres et faim aurait rajouté deux autres paramètres ralentissant fortement la construction de la maison.

Avant de faire ses premiers pas dans la partie, il est exposé au patient les règles encadrant la partie Communautaire (qui vont servir également de rappel du cadre thérapeutique et donc agir comme un renforcement du dispositif thérapeutique dans son ensemble) :

  • Il est strictement interdit de toucher à la création d’un joueur
  • Il est interdit de disposer des ressources d’un autre patient.
  • Il est possible de visiter et même de regarder dans le coffre mais impossible de prendre quoi que ce soit. En revanche il est autorisé de faire un don. Le coffre symbolise la propriété de l’autre quand notamment la construction de la maison est très peu avancée, voire pas du tout commencée avec juste un coffre posé quelque part.
  • Les cases de l’inventaire du personnage appartiennent au patient qui est en train de jouer. S’il reste des objets ou ressources à la fin  de la partie ils deviendront la propriété du patient suivant. Il est tout à fait possible de laisser volontairement des ressources et/ou outils dans l’inventaire pour que le joueur suivant puisse en disposer.
  • Ces règles “restrictives” amènent un élément majeur : le fait que le thérapeute soit le garant du respect de ces règles, de ce cadre. Beaucoup de choses se joueront autour de cette question là, du rapport du patient avec le cadre et les limites, la confiance en l’adulte, la question de la transgression. Certains patients testeront ma capacité à tenir ces règles en s’approchant très près de la transgression et pour l’anecdote seulement deux patients auront eu besoin de passer à l’acte. Cette question complexe et très intéressante fera probablement l’objet d’un article un peu plus tard.

La partie « Créatif Communautaire ».

Les règles sont exactement les mêmes que pour la partie Survie mais il y a une consigne en plus : il est proposé au patient de participer à une œuvre commune, la création d’une ville. Il me fallait quelque chose d’assez vaste au niveau imaginaire mais pas trop pour éviter que certains ne soient trop déroutés par des possibilités trop importantes et s’y perdent. Avant de pouvoir jouer le patient est invité à verbaliser ce qu’il souhaite réaliser et comment il va s’y prendre. Étonnamment,  aucun patient n’a jamais demandé à voir les réalisations des autres afin de proposer quelque chose en cohérence avec qui avait déjà été fait sur la partie, comme chercher à éviter la présence de deux bâtiments identiques.

Un patient a eu l'idée de mettre à la disposition des autres un coffre contenant des ressources (outils, nourriture...) qu'il a pris soin d'identifier par une pancarte.
Un patient a eu l’idée de mettre à la disposition des autres un coffre contenant des ressources (outils, nourriture…) qu’il a pris soin d’identifier par une pancarte.
Le contenu du coffre
Le contenu du coffre

Pour conclure, choisir le mode Communautaire n’est pas anodin et marque clairement une volonté d’oser s’exposer aux yeux des autres puisque les patients ont toujours le choix de la partie sur laquelle ils vont jouer.

Pour certains, passer à une des parties Communautaire après une partie solo est vécu comme un pas en avant et cela n’intervient jamais à n’importe quel moment de la thérapie. La prise de conscience pour le thérapeute de cette dynamique permettra d’enrichir davantage sur ce que le patient donne à voir et à comprendre des mécanismes psychiques conscients et inconscients qui l’animent.

Ainsi, tout en restant dans le cadre de thérapies individuelles,  j’ai réussi à adapter l’utilisation de Minecraft pour qu’à certains moments il soit possible de travailler avec la présence d’un autre par rapport à soi, autre avec qui il n’y aura jamais de contact direct, n’existant que par la trace qu’il a effectivement laissée dans la partie et activant le fantasme de ce qu’il va bien pouvoir penser et dire quand il verra ce que lui-même a fait (les plus anxieux cherchent à se rassurer constamment en demandant mon avis « c’est bien ce que j’ai fait hein ? », « c’est une bonne idée ça non ? »…)

Les centaines de séances réalisées ont déjà montré la pertinence de ces parties communautaires auprès de jeunes patients dont l’aspect interaction avec l’autre était très difficile à approcher par l’échange verbal. Le recours au jeu vidéo Minecraft a permis d’ajouter cette dimension à la thérapie individuelle sans que le cadre thérapeutique n’en souffre.

Minecraft a aussi la particularité d’avoir vu fleurir de très nombreuses chaînes Youtube permettant aux joueurs de partager leurs réalisations et leurs parties à la communauté.  J’ai remarqué que les patients les plus actifs sur la visualisation de chaînes Youtube Minecraft choisissent massivement, comme une évidence les parties Communautaires.

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À propos Bruno BERTHIER

Psychologue Clinicien en libéral Diplômé en 2001 de l'Ecole de Psychologue Praticiens

1 commentaire

  1. […] Mais avant ça, il me reste un dernier article à écrire. Je ne me suis pas contenté de ces deux modes classiques et j’ai créé deux mondes supplémentaires pour enrichir davantage l’utilisation de Minecraft : le mode Survie Communautaire et le mode Créatif Communautaire. […]

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