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Le premier article sur Minecraft permettait de montrer comment ce jeu vidéo a fait son apparition au cabinet ainsi que les idées et impressions associées à la pratique de ce jeu vidéo en thérapie.
Pour aller plus loin dans la présentation et la réflexion qu’amène minecraft dans la pratique thérapeutique, il me faut d’abord le présenter de manière plus précise pour que les non-initiés puissent s’en faire une idée afin de comprendre la suite, et pour les initiés de percevoir plus finement les subtilités techniques à l’utilisation de ce jeu.
Comme je l’écrivais précédemment, Minecraft fait partie des jeux vidéo dits “bac à sable” (sandbox) proposant une liberté d’action créative pratiquement sans limites.
Nous pouvons distinguer deux modes de jeu principaux : le mode Survie et le mode Créatif.
Je vais d’abord vous présenter les caractéristiques de ces deux modes, la manière dont je les utilise en thérapie et je finirai par vous présenter deux autres modes que j’ai adapté au contexte thérapeutique.
Le mode Survie.
Plusieurs niveaux de difficulté sont proposés : paisible, facile, normal et difficile. Ces niveaux de difficulté interviennent principalement sur la présence ou non des monstres, la puissance des dégâts infligés par les monstres, la diminution plus ou moins progressive de la barre de faim et qui peut impacter la barre de vie en mourant de faim.
Un dernier niveau de difficulté est proposé, le niveau hardcore dans lequel la difficulté est verrouillée à son maximum, le joueur n’ayant qu’une seule vie et en cas de mort il doit reprendre la partie au début.
Au lancement d’une partie Survie, le joueur choisit donc son niveau de difficulté et une “graine” (un code informatique) génère le monde dans lequel va évoluer le joueur. Ce monde est composé de régions appelées biomes, offrant des environnements variés (désert, jungle, montagnes, plaines, océans…).
Le personnage ne possède rien d’autre que sa barre de vie, sa barre de faim et son corps dont on ne voit généralement que le bras (la vue majoritairement choisie est celle de la vision subjective, c’est à dire que l’on voit à travers les yeux du personnage).
A partir du mode Facile, l’alternance jour/nuit (toutes les 10 minutes environ) va faire apparaître des monstres la nuit et la barre de faim diminuera avec le temps qui passe, mettant en danger de mort le personnage. Il va donc falloir s’organiser pour ne pas mourir de faim et se protéger des monstres.
Le joueur va devoir se créer des outils, un abri, des armes, et divers autres objets, transformer des matériaux pour en obtenir d’autre.
La première ressource à exploiter sera le bois qui permettra de faire un établi, base de l’artisanat (le “crafting”). Le joueur possède un inventaire dans lequel il peut stocker les différentes ressources qu’il récolte et 4 cases lui permettant de faire l’établi. En combinant certaines ressources d’une certaine manière, cela permet de créer un objet.
Ainsi, pour l’établi, il faut taper du poing sur un arbre pour en extraire une bûche, la disposer dans une des 4 cases de l’inventaire, ce qui va transformer la bûche en planche, puis placer une planche sur chacune des 4 cases pour obtenir un établi.
L’établi va permettre d’exploiter 9 cases et donc d’accroître la possibilité de création d’objets et de transformation de matériaux.
Avec les patients qui sont peu habitués à ce jeu ou ceux qui ne font que des parties en Créatif, je mets à leur disposition une tablette où ils ont accès à un site internet permettant, grâce à son moteur de recherche, de rechercher de quelle manière faire tel ou tel objet. Intéressant de voir comment ce « plus » est appréhendé. Pour certains c’est un véritable plus qui valorise la capacité à aller chercher soi-même ce dont on a besoin, mais pour d’autres c’est un « trop » ; cette étape supplémentaire bloque pour des raisons qui seront à travailler en thérapie pour comprendre ce que cela représente pour lui (pas encore prêt à l’autonomie ? pas à l’aise avec les mots ? peur de ne pas y arriver ? Renvoie un aspect « scolaire » à la dimension ludique ? ).
Aide pour le crafting, moteur de recherche et liste des différents crafts
Comme vous pouvez le voir la liste est impressionnante, et bien qu’il soit très difficile de les retenir tous, cela implique de la part du joueur de faire appel à sa mémoire pour éviter d’être condamné sans arrêt à consulter quelque part comment faire tel ou tel objet. Les joueurs n’apprennent pas tous de la même manière Minecraft et certains connaissent des crafts que d’autres ignorent, ce qui confère à ce jeu une dimension de transmission de savoir intéressante (j’ai été moi-même surpris lors de mon apprentissage de connaître des crafts que mes camarades de jeu ignoraient, élément potentiellement valorisant quand on est un débutant face à des initiés ! ).
Un joueur peut décider de rester dans un périmètre restreint, se nourrir quand il faut, faire un abri rudimentaire, augmenter petit à petit la qualité de ses outils quand d’autres auront des envies d’exploration régulières, parcourant l’immensité de leur monde continuellement, se posant dans tel ou tel biome un instant. D’autres enfin se sédentariseront en faisant passer leur petite cabane de terre du début en un immense château avec des mécanismes complexes, de l’agriculture et de l’élevage pour ne jamais manquer de rien ; ils exploiteront toutes les ressources à proximité et sous terre, classant, rangeant, organisant leurs expéditions pour un maximum d’efficacité.
Le monde Survie de Minecraft est intéressant parce qu’il impose des limites dans un jeu qui se veut et se définit sans limites justement.
Limites physiques : le personnage est soumis à la gravité car peut se blesser ou se tuer en tombant de trop haut, ne peut pas voler ou sauter plus d’un bloc de haut, peut se noyer s’il reste trop longtemps sous l’eau, peut mourir de faim s’il ne se nourrit pas, peut mourir étouffé sous du sable ou du gravier, peut mourir brûler dans la lave, peut mourir tué par les monstres.
Limites de ressources : le joueur doit récolter, bloc après bloc, les matériaux nécessaires à ce qu’il veut faire. Des murs en verre ? Il faudra récolter du bois pour faire un établi, puis une pioche en bois, récolter 8 pierres, faire un four, récolter du sable, le cuire dans le four pour obtenir du verre. Un bloc de verre pour un bloc de sable alors une maison en verre cela va prendre du temps !
Limites d’usure : les outils et armes ont une usure au fur et à mesure que le joueur les utilise donc il faudra prévoir plusieurs exemplaires de secours et améliorer la qualité pour que cela s’use moins (passer d’outils en bois, en pierre, en fer puis en diamant). De même, les animaux qui servent de nourriture apparaissent de manière limitée et tuer tous les animaux à proximité va contraindre le joueur à s’éloigner toujours plus loin pour trouver de la nourriture ; sauf s’il fait de l’élevage et de l’agriculture.
Voilà, normalement quelque chose commence à se dessiner dans la manière dont Minecraft peut être approché thérapeutiquement parlant : la diversité d’exploitation de ce jeu vidéo permet à tous ses joueurs de l’appréhender et d’en personnaliser l’expérience, de telle manière que cela sera propre à chaque individu. Pour le dire plus simplement, Minecraft présente une telle richesse de jeu et une telle liberté d’action qu’il donne la liberté à chacun de jouer comme il le veut, comme il le ressent.
il y a donc plusieurs manières de survivre, plusieurs manières d’affronter les monstres, plusieurs manières de construire sa petite maison ou sa forteresse, plusieurs manières de s’organiser, plusieurs hiérarchisations de choix : faire évoluer l’équipement avant d’explorer plus en profondeur ? Privilégier le ravitaillement avant l’exploration ? Explorer avec méthode ou “au feeling” quitte à se perdre ?
Ces manières de jouer sont un langage que le patient transmet lors de la séance et que le thérapeute doit pouvoir décoder pour comprendre ce que le patient a voulu transmettre via le jeu vidéo, de la même manière qu’un enfant qui dessine lors d’une séance donne à voir quelque chose au thérapeute.
De la même manière qu’un dessin s’analyse dans le contexte d’une problématique particulière et dans un contexte particulier, une séance de Minecraft s’analysera de la même manière. Car c’est ce contexte qui donne une telle force à la médiation thérapeutique car rappelons le, ce n’est pas le jeu qui est thérapeutique, mais tout le dispositif patient – jeu vidéo – thérapeute.
Le mode Créatif
Des deux modes, c’est celui qui est le plus facilement appréhendable pour un débutant : nul besoin de s’y connaître en crafting, pas d’objets à fabriquer, pas de barre de faim ni de barre de vie à gérer, pas de barre d’expérience à faire grandir.
Le mode Créatif a ceci de particulier qu’il affranchit le joueur de nombreuses limites que j’ai détaillées plus haut. Outre cette facilité d’accès aux ressources et objets sans avoir besoin de connaître les principes de fabrications et la collecte des matériaux nécessaires, le personnage devient immortel et une dernière capacité capitale s’ajoute à son arsenal de super-pouvoirs : il peut voler tel Superman et détruire n’importe quel bloc d’un seul coup de poing.
On l’aura compris, il ne s’agit pas ici de s’embarrasser avec les éléments de gameplay du mode Survie, mais bien de libérer le mode Créatif des limites imposées par la survie. L’expérience de jeu est donc totalement différente, la manière de l’investir également.
Imaginez un architecte avec tous les matériaux existants à sa disposition de manière illimitée et doté de super-pouvoirs pour les manipuler. N’ayant pas à se préoccuper de considérations matérielles de ressources et de limitations physiques, il n’y a plus qu’une chose à faire : créer !
C’est l’occasion de réaliser, de mettre en forme des envies et des désirs, d’expérimenter sans contrainte, d’échouer et recommencer sans que cela ne pénalise ou ne coûte.
C’est aussi l’occasion de se lancer dans un projet ambitieux, dans une réalisation qui pourra impressionner ceux qui la verront, louant et reconnaissant le temps passer et/ou la maîtrise technique. Nombre de joueurs se sont distingués en publiant sur internet leurs œuvres, qu’il s’agisse d’une création unique ou une reproduction d’un paysage, d’une œuvre architecturale existante.
Un exemple de constructions gigantesques dans Minecraft
Voici à quoi ressemble le mode Créatif :
J’utilise le mode Créatif comme la boîte remplie de kaplas, les milliers de légos de formes et de couleurs différentes, la feuille blanche avec tous ces stylos à disposition.
Avec le numérique, il n’est plus possible d’avoir accès à la manipulation physique des matériaux de construction mais en contrepartie il repousse loin les limites de ces objets « réels », permettant à la créativité de se réaliser plus largement : espace infini et disponibilité des matériaux à l’infini.
Il est évident qu’il ne s’agit pas comparer deux pratiques, d’opposer deux façons de faire mais de voir qu’une nouvelle pratique s’est ajoutée à la première, enrichissant d’autant la créativité des enfants et des adolescents en plein développement (je n’oublie pas les adultes non plus qui ont besoin de s’évader !).
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L’objet de cet article était de faire apparaître l’univers de Minecraft apparaît un peu moins austère et/ou « mystérieux » pour les non-initiés. Il est même possible (j’espère !) que l’intérêt de l’utilisation de ce jeu vidéo en tant médiateur thérapeutique commence à se dessiner, en se projetant sur les situations cliniques auxquelles les thérapeutes sont confrontés.
Les articles qui suivront sur Minecraft porteront de manière plus détaillée sur un fait de jeu, un élément clinique qui se s’est dégagé lors des séances avec certains patients, ceci afin d’alimenter davantage les pratiques cliniques avec les jeux vidéo.
Mais avant ça, il me reste un dernier article à écrire. Je ne me suis pas contenté de ces deux modes classiques et j’ai créé deux mondes supplémentaires pour enrichir davantage l’utilisation de Minecraft : le mode Survie Communautaire et le mode Créatif Communautaire.
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