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Minecraft est le deuxième jeu vidéo à avoir fait son apparition au cabinet en tant que médiateur thérapeutique, 15 mois après les sim’s 3, soit en février 2013.
La pratique de cet exercice étant maintenant bien rodée, il était temps de compléter la boîte à outils afin de proposer aux patients un autre jeu sollicitant d’autres problématiques, et donc proposant d’utiliser d’autres processus psychologiques.
J’avais déjà découvert Minecraft plusieurs mois avant mais j’avais été rebuté par son graphisme cubique que je trouvais peu engageant et la relative complexité du jeu. Puis le phénomène Minecraft a pris de l’ampleur, beaucoup d’ampleur, en entendant parler de plus en plus en séance avec les adolescents.
J’ai donc décidé de regarder Minecraft de manière plus approfondie, que juste jeter un oeil curieux, et après plusieurs mois de pratique il m’est apparu évident que ce jeu avait sa place en tant que médiateur thérapeutique, et je vais vous expliquer pourquoi.
Minecraft est un jeu de type « bac à sable » (sandbox en anglais), un jeu qui sollicite l’imagination et la créativité du joueur, comme ces enfants qui se retrouvent devant un vrai bac à sable et qui créent, jouent, inventent, creusent, façonnent, se racontent des histoires.
Cet aspect hautement créatif et libre a été le premier critère en faveur de l’utilisation de Minecraft car cela allait donner à certains patients un espace d’expression de soi particulièrement précieux dans une démarche thérapeutique ; le deuxième a été le fait que j’allais pouvoir proposer un jeu vidéo aux garçons, les sims étant un jeu vidéo qui attire principalement les filles (il m’était difficile de le proposer aux garçons d’un certain âge). Un troisième critère est apparu naturellement : étant moi-même en pleine dynamique d’apprentissage pour apprendre ce jeu, j’ai senti assez vite que Minecraft sollicitait de lui-même cette dynamique, élément intéressant à observer dans les thérapies d’enfants et d’adolescents.
Voilà où j’en étais en février 2013 avec Minecraft. Mais il n’a cessé de prendre de l’ampleur tant au niveau médiatique que commercial et alors que je pensais avoir un outil thérapeutique pour mes patients âgés de 12 / 14 ans, j’ai vu cet âge reculer mois après mois avec aujourd’hui une majorité de patients âgés de 8 / 9 ans, la moyenne se situant à 10 ans avec 45 patients pour 250 séances Minecraft en décembre 2015 (aujourd’hui en septembre 2020, 92 patients pour 583 séances et un âge moyen se situant à 11 ans et demi).
J’ai découvert deux autres phénomènes auxquels je ne m’attendais pas en donnant une place à ce jeu dans les thérapies pour les enfants et les adolescents : pour les patients plus âgés (autour de 14 ans) Minecraft est très souvent absent de la liste des jeux joués par les patients lorsque je leur demande à quoi ils jouent, comme si la pratique de Minecraft était décrédibilisante à côté des monstres médiatiques que sont Call of Duty (CoD) et GTA, jeux qu’il faut jouer pour être à la mode, dans la norme, à un âge où l’appartenance à un groupe à une importance si particulière. Minecraft comparé à CoD, c’est le jeu « intello moche auquel on ne comprend rien » face au jeu « cool le plus vendu de la planète » avec le parfum de la transgression puisqu’il est réservé aux adultes (signalétique PEGI +18)… Cela m’amène au deuxième phénomène observé : Minecraft sollicite tellement les ressources intellectuelles que face à un patient en décrochage et/ou rejet scolaire je demande systématiquement s’il joue à Minecraft quand il n’est pas dans la liste des jeux cités. 9 fois sur 10 il en fait partie.
Minecraft apparaît alors dans une dimension particulière, comme un espace permettant de continuer à mobiliser ses ressources et capacités intellectuelles alors qu’il y a quelque chose qui bloque ces processus dans le cadre scolaire. Le sur-investissement pour ce jeu vidéo interroge d’autant que le désinvestissement pour l’école s’accentue : certes l’aspect « jeu vidéo » est facilement plus attractif que la chose scolaire mais ce n’est pas n’importe quel jeu. Le patient a investi un jeu qui mobilise de manière conséquente les ressources intellectuelles : évoluer dans un espace immense, potentiellement dangereux, collecter des ressources, les combiner pour faire tel ou tel objet, s’en rappeler parmi les dizaines autres « artisanats / crafts » (je détaillerai dans le prochain article sur Minecraft comment il se joue pour que les non-initiés aient une idée plus précise du jeu).
Cela me donne l’impression d’un déplacement vers le jeu vidéo qui capte ces processus intellectuels, leur permet de continuer à vivre et se développer dans une certaine mesure…. Car Minecraft n’est qu’un jeu vidéo qui ne peut se substituer totalement à la vie quotidienne.
Ceci m’amène sur la question des pratiques excessives qui fait que l’outil Minecraft n’est plus qu’un simple médiateur thérapeutique, mais aussi une béquille thérapeutique dans la vie psychique quotidienne de certains patients. Il faut donc travailler cette pratique en séance pour faire passer Minecraft de béquille à médiateur, libérer les processus bloqués pour les rediriger vers un réinvestissement de la vie quotidienne, en l’occurrence des centres d’intérêts personnels, le scolaire, la vie sociale et familiale.
L’utilisation de Minecraft en tant que médiateur thérapeutique est à la fois riche et complexe, et qui demande une connaissance de base non négligeable pour tenter d’en exploiter toute la richesse lors des séances avec les patients.
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